Bord à bord, une savoureuse histoire d’algues
Sur les côtes finistériennes, une petite équipe d’adeptes des algues cueille et transforme ces merveilles au rythme des marées. Pourquoi ? Comment ? Henri Courtois, fondateur de Bord à bord, nous livre l’histoire et la raison d’être de cette entreprise au bord de l’eau.

En 1996, lorsque vous avez créé Bord à bord, quelle a été votre envie, votre impulsion, alors que la consommation des algues était très confidentielle ? En quoi croyiez-vous ?
Mon histoire avec les algues a en réalité débuté avec la découverte de la spiruline (qui n’est pas une algue mais plutôt une cyanobactérie !). À l’époque, je faisais beaucoup de planche à voile et je consommais déjà des produits bio. La découverte de la spiruline a renforcé ma conscience de l’importance de l’alimentation et de la qualité des ingrédients. C’était très intéressant pour le corps, mais niveau plaisir gustatif, je n’ai pas trouvé mon compte.
Et puis de fil en aiguille, j’ai rencontré des personnes qui m’ont parlé des macro-algues. Au printemps 1994, lors d’une grande marée, je suis allé récolter quelques poignées de nori, de dulse, quelques haricots et quelques feuilles de laitue de mer. De retour, j’ai testé quelques recettes et là je me suis dit « c’est génial ! Ce serait vraiment dommage de passer à côté d’une telle ressource ! » Il y a plus de trente ans, le commerce des algues était très peu développé. J’avais envie de challenge. Ça tombait bien, il y en avait un vrai !
Et puis j’ai eu la chance de rencontrer Clotilde Boisvert, une ethnobotaniste gourmande, qui m’a permis de mieux comprendre la biologie des algues et leur préparation. Nous avions constitué un petit cercle avec des chefs cuisiniers parisiens afin de déterminer la place des algues dans la cuisine française. Je suis devenu mordu. Les débuts ont commencé à Paris, avec des algues déshydratées et des algues conservées au sel que je vendais à Alain Ducasse mais aussi à des petites brasseries de quartier et en parallèle à des magasins bio. Dans l’année qui a suivi, nous avons créé le premier tartare d’algue de Bord à bord.
Vous êtes installé à Roscoff, l’un des bassins les plus pourvoyeurs en algues des côtes françaises : comment sélectionnez-vous les algues que vous préparez ?
Roscoff constitue l’un des plus grands champs d’algues en Europe ! En termes de qualité d’eau, avec neuf à dix mètres de marnage aux grandes marées, nous avons un biotope extraordinaire où les algues trouvent tout ce dont elles ont besoin.
Parmi la grande diversité d’algues présente, nous travaillons six espèces : la laitue de mer, le wakamé, le kombu royal, la dulse, le spaghetti de mer et la nori. Les algues sauvages se prélèvent sur des zones qui ont été définies, dans le cadre du label bio, pour être éloignées de toute source de pollution potentielle.
Quant aux algues de culture, elles sont cultivées soit en mer sur des filières, soit dans des bassins à terre.
Pour nous approvisionner, nous salarions deux pêcheurs à pied et nous achetons aussi à des pêcheurs à pied professionnels indépendants.
Depuis plus de treize ans, nous réservons aussi une part de nos achats à des algoculteurs. Aujourd’hui, elle représente 35 % de nos volumes. Le marché progressant, demain, on ne pourra pas faire sans algoculture. Plus on va vers l’algoculture, plus on va vers un système régénératif.
Mais développer l’algoculture sur le littoral breton, ce n’est pas facile. Ici, dans le Léon, nous avons d’excellentes terres agricoles que nous ne pouvons pas sacrifier, il y a aussi une grande zone Natura 2000 et puis toute une partie urbanisée. Sans compter l’acceptabilité de l’algoculture par la population qui n’est pas encore au rendez-vous.
À nous de faire de la pédagogie et de prouver que l’algoculture n’est pas impactante. Notre objectif est de pouvoir nous approvisionner au plus près. Au fur et à mesure que les capacités de culture se développent en Bretagne, nous réduisons la part que nous prenons chez une algocultrice bio au Portugal.
Chez Scarabée, on vous connaît bien pour vos tartares d’algues frais : comment transformez-vous des algues « brutes » en tartares délicats ?
Les algues arrivent à l’atelier et sont lavées à l’eau de mer dans une espèce de grand jacuzzi. Les cailloux et les bigorneaux retournent vivants à la mer. Ensuite, il y a une grosse étape de tri, qui se fait à la main. Avec ce système, on améliore la qualité de l’algue tout en préservant saveurs, texture et couleurs, mais aussi en préservant leurs qualités nutritionnelles.
Il y a une saisonnalité des algues. Alors pour en disposer toute l’année, il faut pouvoir les conserver. Après le lavage, on les conserve dans le sel et au froid. Dans le mois qui suit, l’algue dégorge puis se stabilise, cela permet d’affiner le goût et la texture tout en conservant les couleurs.
Pour fabriquer les tartares, nous commençons par dessaler les algues à l’eau de mer pour les faire revenir en douceur à leur niveau osmotique initial.
Ensuite, tout se passe dans notre atelier de Taulé. Elles sont émincées, marinées, et assaisonnées avant d’être conditionnées sans aucun traitement thermique. C’est Hugo le chef cuisinier du bord, doté d’un palais formidable, qui crée les recettes en duo avec une ingénieure.
Pour faire aimer manger les algues, il faut imaginer des recettes qui rencontrent leur public. Le goût doit être au rendez-vous dans un produit facile d’utilisation, tout en essayant de correspondre à nos habitudes de consommation. Nous préparons des tartares, des guacamoles – sans avocat mais avec des algues –, des confits, des chips d’algues…
Quel avenir imaginez-vous pour la consommation d’algues en France ?
Faire aimer manger les algues est notre credo. Et pour ça, le plus important est de faire un bon produit. D’année en année, on voit de plus en plus d’intérêt pour l’algue. Ce n’est pas un effet de mode mais une évolution qui grimpe au rythme de la marée. Quand une personne se met à consommer des algues, il y a un effet cliquet : il ne revient pas en arrière.
Les propriétés nutritionnelles des algues sont exceptionnelles. La clé est d’en manger un peu, régulièrement. Ainsi, vous apportez à votre alimentation une part essentielle en sels minéraux, oligo-éléments, fibres, protéines et quelques vitamines.
À ce stade, je me dis que nous n’avons pas encore tourné la première page du livre. Il faut être patient car les changements d’habitudes ne se font pas en un clic, mais nous faisons de notre mieux, avec nos moyens et surtout avec notre cœur pour permettre ce déclic !

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